L’Art Nouveau: Babel du bibelot ou espéranto décoratif?

Authors

  • Cyril Barde

Abstract

Les théoriciens de l’ornement et de l’art décoratif ne cessent, dans la seconde moitié du xixe siècle, de penser les formes artistiques comme un langage dont il faudrait inventorier le vocabulaire et organiser la syntaxe. On ne compte plus en effet les grammaires de l’ornement et les grammaires de l’ameublement qui s’inscrivent dans ce paradigme linguistique. Comme l’écrit Rémi Labrusse, ‘parler de grammaire ornementale plutôt que de recueil, c’est imaginer le théoricien de l’ornement non pas comme un philologue mais comme un linguiste, moins préoccupé par le sens global d’un répertoire (assimilable à une littérature) que par les règles de fonctionnement d’une combinatoire (assimilable à une langue)’. Si le parallèle avec l’entreprise normative et taxinomique de la grammaire manifeste un souci de clarification et d’organisation rationnelle du langage des formes après des décennies dominées par la confusion de l’éclectisme, la référence à la langue implique aussi une réflexion sur l’identité nationale dans un pays – la France – où langue et identité nationale sont indissociables, et dans un moment – le tournant du siècle – marqué par les prolongements de la querelle du cosmopolitisme et l’exacerbation des rivalités entre États-nations. L’émergence de l’Art nouveau et sa diffusion rapide dans l’Europe de 1900 suscitent de nombreuses métaphores linguistiques qui dénoncent le péril d’une dégénérescence du langage décoratif français. La nouvelle langue architecturale, qui puise aussi bien dans le japonisme, les Arts and Crafts anglais que dans les innovations belges ou allemandes, apparaît à bien des égards comme un terme étranger et corrupteur, un emprunt inassimilable, tout aussi intraduisible que le nom que les Français lui inventent – ‘modern style’ – faux anglicisme qui incarne à lui seul l’irréductible différence des langues et des cultures. Le nouveau langage décoratif, en raison même de son caractère cosmopolite, apparaît dès lors comme une formation cacophonique de langues étrangères qui échouent à s’entendre et à former une langue commune cohérente.

 

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Published

2020-12-20